« Le diagnostic d’infertilité m’a dévastée mais a ouvert mon cœur »

Raphaëlle Coquebert
Raphaëlle Coquebert
« Le diagnostic d’infertilité m’a dévastée mais a ouvert mon cœur »

Ne pas pouvoir donner la vie a été une déchirure pour Bénédicte, 46 ans, enseignante en biologie dans un lycée clermontois. Pour les Accueils, elle revient sans fard sur les années douloureuses où elle a dû apprivoiser cette réalité.

Mariée à 23 ans, vous espériez tomber rapidement enceinte. Quand avez-vous su que ce ne serait pas possible ?

J’en ai eu très vite l’intuition. Si bien que nous avons procédé assez rapidement à des investigations médicales. Le diagnostic n’a pas traîné : une mutation génétique de mucoviscidose rendait l’un de nous stérile. Quel coup de massue ce verdict ! Nous étions assommés.

Étiez-vous l’un et l’autre sur la même longueur d’onde ?

Nous n’avons pas voulu que l’un de nous porte la responsabilité de cette infertilité, d’où notre discrétion à ce sujet. Puisque dans le mariage nous ne faisons qu’une seule chair, c’était notre problème à tous les deux : c’est notre couple qui ne pouvait avoir d’enfant. Ce qui ne signifie pas qu’il est privé de toute fécondité. Enfant ou pas, le couple est premier et il est un cadeau. Le fait de « faire alliance » dépasse l’appel à la parentalité.

Ceci étant, renoncer à porter la vie a été une épreuve beaucoup plus écrasante pour moi que pour lui.

Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Géraud comprenait très bien que je sois au trente-sixième dessous et s’en attristait, mais il se sentait déjà comblé par notre vie à deux, par notre amour. « Moi, me confiait-il, je n’éprouve pas dans ma chair le désir d’enfant, ma tristesse n’est pas comparable à la tienne. » 

Que s’est-il passé après ce diagnostic ?

Les médecins nous ont très vite orientés vers la FIV (Fécondation in vitro). Je connaissais bien le sujet de par mes études et n’avais pas la moindre envie d’y recourir. Je ne juge personne, mais pour ce qui me concerne, j’aurais eu l’impression de jouer avec la vie, d’entrer dans une logique de « droit à l’enfant ». Mon mari avait moins réfléchi que moi à ces questions, mais s’est calé sur mon intuition. 

Il y a tant d’enfants sans parents, tant de parents en désir d’enfants… Pourquoi ne pas greffer ces deux manques l’un à l’autre pour en faire une belle histoire de construction d’amour ? Lors de notre préparation au mariage, nous étions tombés d’accord sur le fait que nous pourrions adopter si la vie ne nous permettait pas d’avoir un enfant de notre chair. Aussi étions-nous en phase là-dessus : c’était une voie possible, exigeante mais pleine de promesses. 

Vous êtes-vous sentis soutenus sur ce chemin par le corps médical ?

Oui et non ! J’ai un souvenir cuisant d’un rendez-vous avec ma gynécologue qui n’a pas montré la moindre compassion à mon égard. Quand mes larmes ont coulé dans son cabinet, elle m’a lancé sans ménagement « va falloir être plus courageuse que ça, ça n’est que le début ! Nous médecins sommes de simples techniciens du corps ». Je lui ai rétorqué que sa vision était déshumanisante, qu’elle m’atteignait dans mon intégrité. Est-ce que toute femme ne porte pas en elle cette aspiration à donner la vie ?

Heureusement, le biologiste généticien qui a confirmé définitivement le diagnostic nous a reçus, lui, avec une grande délicatesse. Sa gentillesse m’a donné un souffle nouveau et m’a permis de comprendre que la vie ne s’arrêtait pas là. Même si j’ai traversé des moments terribles.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ces années noires ?

Je suis tombée très bas. J’ai traversé un ravin de mort. Oserais-je vous dire que dans mes temps de jardinage les bacs à fleurs m’apparaissaient comme des cercueils ? Voir une femme enceinte était pour moi un coup de poignard. J’étais entourée de familles qui me renvoyaient l’image de ce que j’avais projeté pour nous et qui n’adviendrait pas. J’en éprouvais de la jalousie, même si je m’efforçais de ne pas l’entretenir. Et aussi un vif sentiment d’injustice. Peu à peu, j’ai compris pourtant qu’on ne nous enlevait rien. Ces enfants que nous désirions n’avaient pu être ; à moi de consentir à cette réalité. L’enfant n’est pas un droit.

Pourtant, à chaque annonce de grossesse dans mon entourage, ma raison avait beau me souffler qu’il était bon que je me réjouisse -la Vie doit être célébrée !-, mon cœur saignait.

Et puis, c’est bête, j’essayais de trouver des explications à cette épreuve et l’idée absurde et vieille comme le monde que c’était peut-être une punition divine faisait en moi son chemin de mort. Le mensonge se faufilait dans la blessure.

Vous croyez en Dieu ?

Oui, la foi est une composante essentielle de ma vie, c’est elle qui m’a sauvée. Même si je dois avouer qu’elle a été bien épurée lors de ces premières années de mariage ! Je dirais même que ma souffrance a été une épreuve spirituelle. Je n’ai jamais douté de l’existence de Dieu, mais dans les moments les plus sombres, je ne Le sentais pas à mes côtés : il n’y avait plus que les ténèbres. Je m’imaginais que le sort allait s’acharner sur nous. Je suis passée par des phases d’angoisse terrible, des phobies… Pour m’apaiser, j’ai eu recours à la méthode Vittoz, et consulté un psychologue. Avec le recul, je pense que j’aurais dû faire appel à un psychiatre.

J’ai trop porté seule.

Comment votre mari a-t-il réagi face à votre désespoir ?

Il a été formidable ! D’une bonté, d’une patience ! Ballotés par la vie, nous nous sommes serrés les coudes : notre amour a été un rempart. Le couple passe avant les enfants, il est à lui seul une bénédiction… Au fil du temps, j’ai compris qu’à travers Géraud Dieu me consolait. J’ai éprouvé de la gratitude pour l’amour donné et reçu dans l’épreuve. Cet amour est fécond en lui-même : il a été pour nous un vrai moteur et une source de joie. 

Et votre entourage, a-t-il su vous réconforter ?

Les plus proches ont souvent été les plus maladroits. Je me suis sentie extrêmement seule. La génération de nos parents est plus pudique que la nôtre : les émotions n’ont pas vraiment droit de cité… Le déni, le silence total sont dévastateurs. 

Nous étions de fait exclus du schéma classique des familles, comme « en dehors du moove. » Des goûters s’organisaient à la sortie de l’école auxquels je n’étais pas conviée. J’avais parfois l’impression que certaines familles « faisaient vitrine » avec leur tripotée d’enfants. Encore aujourd’hui, j’ai du mal avec ces cartes de vœux ou ces vidéos qui font étalage d’un bonheur un peu surfait… 

Tous ceux qui ne cochent pas les cases peuvent en être blessés. Au point que nous avions hésité à intégrer un mouvement de couples chrétiens, les Équipes Notre Dame : « on n’est pas une vraie famille » avançais-je. Géraud avait protesté : « nous sommes un foyer d’amour, c’est ça qui compte et qui est un phare pour le monde ». Quel baume au cœur quand une amie pleine de délicatesse a abondé dans son sens : « mais si venez, c’est à destination de tous les couples ! »

Comment auriez-vous aimé que l’on vous aide ?

Que ce « viens avec nous » soit plus fréquent. J’avais besoin d’affection, de gentillesse, de douceur. Que l’on me fasse signe, sans s’appesantir sur ma souffrance : « Je sais que ça doit être dur, viens prendre un café pour papoter »… Peut-être les faire-part de naissance auraient-ils été mieux reçus accompagnés d’un petit mot « on pense à vous, on connaît votre espérance d’enfant. » Les marques d’amitié, de tendresse m’ont fait du bien.

Prendre soin de ma vie intérieure aussi. Quand on n’est pas dans le rush de la mère de famille, on a du temps pour réfléchir à la vie, l’amour, la souffrance… Sur le long terme, la prière m’a portée, soutenue. 

Quand l’horizon s’est-il éclairci ? 

Quand j’ai compris que notre première mission et notre fécondité, c’était notre amour : il est à lui seul un témoignage. Puis, quand nous avons vraiment lancé la procédure d’adoption, 4 ans après notre mariage : ça a été comme une lumière intérieure, la certitude que nous étions appelés à ça, à ce chemin de vie particulier. Même si ça n’est pas la suite de l’histoire, mais un chemin parallèle. On continue malgré tout à avoir un deuil du biologique à faire. Aujourd’hui encore, je peux avoir les larmes aux yeux en voyant une femme enceinte. C’est fugitif, mais c’est là.

Seulement, après plusieurs réponses négatives de divers organismes, je me suis à nouveau effondrée. Nous avons fait une pause d’un an pour que je me reconstruise. J’étais une épave…

Qu’a-t-il fallu pour que la vie reprenne le dessus ?

Un jour, j’ai franchi un cap. J’étais à la maison et au fond du trou. J’ai crié vers le Ciel : « Au secours, aide-moi, c’est trop dur, je coule à pic, je touche le fond, je suis au bord de la mort. » Et en même temps, j’ai fait un pas décisif, un petit pas qui a consisté à faire confiance au Christ : « Je m’en remets à toi, que Ta volonté soit faite. » À partir de là, j’ai cessé de vouloir tout contrôler, je me suis laissée faire. D’ailleurs, j’ai dormi comme un bébé la nuit suivante ! J’ai arrêté de me crisper sur cette attente d’enfant. Bien m’en a pris puisque 4 ans plus tard, nous devenions parents pour la première fois, en accueillant pour notre plus grande joie une petite fille de 6 mois, Pia. 5 ans plus tard, un garçon de 3 ans, Jean, nous a été confié.

Au final, c’est grâce au Seigneur que j’ai peu à peu accepté notre épreuve. Sans lui, tout me paraissait scandaleux et injuste. Avec Lui à mes côtés, je me suis sentie capable de faire face. Je n’ai pas toujours su voir que Dieu était là, mais Il l’était bel et bien.

Plus de vingt ans après, quel regard portez-vous sur votre histoire ?

Je dirais d’abord que j’ai gagné en liberté intérieure. Ne rentrant pas dans le cadre, j’ai été forcée de m’affranchir du regard des autres. Purification douloureuse, mais salutaire.

Plus profondément, ce fardeau a été un chemin de souffrances, mais aussi de purification et de croissance. Je suis passée par le feu de l’épreuve, mais l’étincelle de vie tenait bon. Avant ce coup du sort, tout me réussissait : mon cœur ne serait-il pas devenu de pierre ?

Pour rien au monde, je ne retournerais en arrière mais quelque part, je rends grâce

NB : Si comme Bénédicte, vous êtes concernée par l’infertilité, n'hésitez pas à prendre rendez-vous au sein de l'Accueil Louis et Zélie le plus proche de chez vous. S’il n'y en a pas, contactez-nous pour que l’on trouve ensemble une solution. Nous sommes à votre écoute.

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