« J’étais paumée, ma fille m’a rendue à la vie »

Raphaëlle Coquebert
Raphaëlle Coquebert
 « J’étais paumée, ma fille m’a rendue à la vie »

Enceinte à 20 ans, Elianny souffle le chaud et le froid. Engluée dans une relation toxique avec le père, sans diplôme ni argent ni logement, elle décide finalement de garder son bébé. Elle nous raconte comment sa fille lui a permis de se déployer.

Dans quelles circonstances avez-vous appris votre grossesse ? 

C’était le chaos dans ma vie ! J’étais brouillée avec ma mère à laquelle je ne parlais plus depuis 4 ans, je n’avais pas vu mon petit frère depuis une éternité et vivais chez un oncle avec lequel ça se passait mal. Seule ma grand-mère prenait soin de moi, me donnait quelques billets en cachette, me faisait des courses.

Ayant arrêté mes études à 16 ans, je ne faisais rien de ma vie, sinon traîner avec des copains qui étaient tous des paumés : on fumait et buvait à longueur de journée. J’étais avec eux dans un skatepark à Nantes quand j’ai rencontré le futur père de ma fille, juste après le COVID, en 2020 : il sortait de prison. Je me suis vite installée chez sa mère, pendant deux ans. Ce n’était pas la belle histoire d’amour dont je rêvais, car il me frappait : malgré tout j’étais folle de lui, complètement aveuglée. J’avais toujours voulu être maman à 20 ans, alors j’ai arrêté toute contraception.

Vous étiez prête à avoir un enfant avec un homme violent ?

Je ne pensais pas que ça arriverait si vite, mais oui j’y étais prête. Je n’avais rien à quoi me raccrocher, vous comprenez… Quand on a su que j’étais enceinte, on était tous les deux trop contents. Sauf que la mère de mon compagnon ne l’entendait pas de cette oreille : elle lui a monté la tête pour qu’il me pousse à avorter. Ses sœurs en ont fait autant. De toutes parts, j’ai subi des pressions. Moi, je me posais 36 000 questions, mais j’ai été très claire avec tous : « dans tous les cas, c’est moi qui aurai le dernier mot ».

L’avortement était-il une option possible pour vous ?

J’avançais dans le brouillard. J’avais envie de ce bébé mais l’avenir me paraissait bouché. Après une énième dispute, le papa m’avait mise dehors. Je ne travaillais pas. J’ai bien essayé d’être serveuse dans un restaurant pendant deux mois, mais avec la grossesse je ne supportais pas les odeurs de cuisine… 

J’ai frappé à la porte d’une association pour femmes battues qui m’a rassurée en me certifiant que je pourrais être hébergée en foyer. Mais je n’ai pas été informée de toutes les aides financières existantes et ne voyais pas comment je pourrais m’en sortir. Alors, j’ai pris rendez-vous pour avorter.

Mais vous avez fait marche arrière. Pourquoi ?

J’ai décidé d’attendre la première échographie pour voir ce que je ressentirai. C’était si difficile pour moi d’aimer quelqu’un qui n’arrivait pas au bon moment… Quand la sage-femme m’a fait écouter le cœur du bébé, la décision s’est imposée : je me suis dit « tant pis, je le garde, je trouverai une solution coûte que coûte. » Ça aurait été si cruel de supprimer ce petit être en moi ! Et puis, je n’étais pas seule, ma grand-mère me soutenait. Pour ma mère, je ne lui ai dit qu’à 5 mois de grossesse… Je crois qu’elle était à la fois inquiète et contente.

Grâce à la Mission locale (www.mission-locale.fr), j’ai entendu parler de l’association La Maison de Marthe et Marie (www.martheetmarie.fr). On m’y a proposé une collocation solidaire à huit : 4 femmes enceintes en difficulté et 4 bénévoles. Je n’étais pas emballée à l’idée de vivre en communauté -même si chacune a sa chambre- mais finalement je m’y suis sentie vraiment bien. Et on m’a fait découvrir toutes les aides dédiées aux femmes enceintes dans la dèche : quel soulagement pour moi ! 

Comment s’est déroulée votre grossesse ?

J’étais comme extérieure à ce qui se passait, malgré mon énorme ventre que je mettais fièrement en valeur. Je faisais tout l’inverse de ce que me recommandait le médecin : je portais par exemple des charges lourdes… Au 8ème mois, je n’avais rien anticipé. C’est ma grand-mère qui m’a secouée : 4 semaines avant la naissance, on est allées ensemble en grande surface acheter tout le nécessaire. Quand ma fille est née, j’ai pensé « ce n’est pas possible, une merveille pareille, ce n’est pas à moi ! » J’ai passé une nuit à la regarder, éblouie, et quand elle s’est mise à pleurer, ça a été le déclic : j’ai compris que mon rôle de maman était de prendre soin d’elle et qu’il fallait absolument que je quitte le papa.

Vous ne viviez plus avec lui, mais n’aviez pas mis un terme à votre relation ?

Je ne voulais pas rester chez sa mère pour ne pas imposer à notre bébé un climat de violence et de tensions, mais je n’avais pas la force de le quitter. Il n’était pas présent à l’accouchement, mais quand il a vu Lyanna, il était bouche bée, comme devant la 7ème merveille du monde. J’en étais émue, mais savais ne pas pouvoir compter sur lui : à 26 ans, il traînait toujours avec ses potes, à fumer, à boire… Je devais trouver une solution. Notre fille avait 3 mois quand j’ai rejoint une résidence jeune d’Habitat et Humanisme (www.habitat-humanisme.org), Key Baco (www.keybaco.fr), où un studio se libérait. Quand le papa a compris que je voulais prendre mes distances, il a redoublé de violence : il est venu plusieurs fois me trouver, m’insulter, casser des vitres… C’en était trop : j’ai déposé plainte contre lui, ce que je n’avais pas osé faire durant trois ans. 

Et j’ai résolu de fuir : j’ai rappelé Marthe et Marie pour qu’ils me trouvent une place dans une de leurs maisons, très loin de Nantes. En 15 jours, j’ai tout vendu et sauté dans un train. Même mes copines ignoraient que j’allais à Lyon. Laisser d’un coup huit années derrière moi, c’était une décision difficile, mais elle s’imposait, pour le bien de ma fille.

Cette nouvelle vie vous a-t-elle enfin permis de vivre en paix ?

Pas du tout ! Ça a été une descente aux enfers. Cette fois, je n’ai pas vraiment trouvé ma place dans la collocation Marthe et Marie. J’ai dégoté un logement social et me suis démenée pour chercher du travail, après avoir obtenu une place en crèche pour Lyanna. Mais on ne me proposait que des jobs avec des horaires pas possibles, en soirée, le week-end. 

J’étais très seule, sans aide possible de ma famille restée à Nantes : comment vouliez-vous que je fasse ? Pendant une année, j’ai broyé du noir, pris du poids à vue d’œil, recommencé à fumer. Je devenais agressive, me plaignais sans cesse. 

Et votre fille dans tout ça ?

Forcément, ça a rejailli sur elle. Jusque-là, elle était adorable, ne pleurait jamais : je l’emmenais partout avec moi, elle était super facile. Elle s’est mise à faire des caprices, des crises… Entre nous, la tension montait. Jusqu’à ce 6 janvier 2024, où j’ai craqué : j’ai pleuré non-stop une journée entière. Lyanna tentait de me consoler : « maman ça va aller, pas pleurer. » 

J’en ai été si bouleversée que j’ai décidé sur le champ de reprendre ma vie en mains, de quitter cette ville où je ne m’étais jamais intégrée. Recommencer ailleurs, c’était tirer un trait sur le passé et prendre encore plus mes distances avec mon ex-compagnon : je ne l’ai pas revu depuis notre confrontation au tribunal il y 18 mois, mais plus je suis loin, mieux c’est.

Avez-vous réussi à reprendre les rênes de votre vie ?

Oui ! Ma mère m’y a aidée : une fois que j’ai su où habiter et trouvé un logement, elle m’a prise entre quatre yeux : « si tu ne veux pas recommencer les mêmes erreurs qu’avant, tu changes de vie. C’est maintenant ou jamais. » Elle m’a proposé de garder Lyanna le temps que je trouve une stabilité. Se séparer de ma fille m’a coûté, mais a été bénéfique : j’ai trouvé un poste d’éducatrice en école, passé mon permis, perdu du poids. Je me suis fait des amis. Comme quoi, il ne faut jamais baisser les bras.

Que diriez-vous à une jeune maman qui comme vous se trouverait enceinte et en galère ?

D’écouter son désir à elle. De ne pas sacrifier l’enfant pour garder le père. S’il est là, tant mieux. Mais s’il fait un chantage du genre « c’est moi ou le bébé », ne pas céder. La France aide les mamans solos : il y aura des moments compliqués, faut pas se mentir, mais elle y arrivera. Il faut se battre. 

Quand je repense au temps d’avant ma grossesse, où j’étais mal dans ma tête, mal dans mon corps, à traîner avec des gens louches… Je me dis que ma fille m’a sauvée la vie. Et que le Bon Dieu a entendu mes cris.

Le Bon Dieu ? Votre foi a été un appui pour vous ?

Je ne pratique pas, je ne sais pas très bien qui est ce Dieu, mais oui, il y a quelqu’un derrière tout ça. J’ai une trop bonne étoile. Quelqu’un existe Là-haut et Il m’a aidée.

NB : Si comme Elianny vous êtes confrontée à une situation difficile en tant que future maman ou en tant que maman, n'hésitez pas à prendre rendez-vous au sein de l'Accueil Louis et Zélie le plus proche de chez vous. S’il n'y en a pas, contactez-nous pour que l’on trouve ensemble une solution. Nous sommes à votre écoute.

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