« Comment j’ai géré l’alcoolisme et la maladie psychique de mon mari »

Raphaëlle Coquebert
Raphaëlle Coquebert
« Comment j’ai géré l’alcoolisme et la maladie psychique de mon mari »

En épousant Marc il y a près de 20 ans, Charlotte était loin de se douter qu’elle liait son sort à un homme que l’alcoolisme rendrait un jour méconnaissable... Elle nous relate ici l’enfer qu’elle a traversé et les moyens mis en place avec son mari pour sauver leur couple et leur famille. 

Si vous deviez dépeindre la jeune femme que vous étiez avant de rencontrer Marc, que diriez-vous ? 

Qu’elle était déterminée, exigeante, droite et emplie d’idéaux. Avec une vraie soif de se mettre au service des autres et d’apporter sa pierre à l’édification d’une société plus respectueuse de l’homme. Avec ça, fantaisiste et coquette !

J’étais alors infirmière à l’hôpital Foch à Suresnes, où j’ai exercé 6 années durant, en chirurgie. Le rythme était fou, mais j’en ai un excellent souvenir : l’équipe était jeune, soudée, investie et je me sentais parfaitement à ma place. J’ai mis ma carrière entre parenthèses pour me consacrer à notre famille, mais j’espère reprendre un jour. J’ai 45 ans, tout est encore possible !

Quel âge aviez-vous quand vous avez rencontré Marc ?

24 ans. C’était à un dîner chez des amis communs. Nous avons immédiatement eu le béguin l’un pour l’autre et 2 ans après, en 2006, nous nous promettions un amour éternel dans la Sainte-Chapelle de Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme).

Marc étant alors militaire, nous avons souvent bougé au gré de ses affectations et donné naissance à 5 enfants entre 2007 et 2015, 2 garçons et trois filles. Notre vie était bien remplie et heureuse.

C’est pendant la grossesse de notre dernière que les choses ont commencé à se corser.

Que s’est-il passé ?

J’ai découvert que Marc buvait en cachette tous les soirs derrière mon dos. Dès nos fiançailles, son penchant pour l’alcool m’avait posé problème : mais à l’époque, les soirées bien arrosées étaient monnaie courante dans l’armée… Je le sermonnais sans en faire un drame. Là, un cap ayant été franchi, je m’en suis inquiétée. 

Pourquoi votre mari en est-il arrivé là ?

Il y avait un antécédent puisque son propre père avait sombré dans l’alcool après avoir claqué la porte de l’armée. Des évènements dramatiques ont fait le reste : d’abord une dangereuse mission en Afghanistan en 2005 dont je n’ai mesuré que récemment l’impact sur le psychisme de Marc confronté à des situations traumatisantes ; ensuite le suicide de son frère en 2008, qui l’a fait plonger en dépression de longs mois durant. Enfin, quand il a résolu de quitter l’armée en 2010 pour rejoindre une grande entreprise de fabrication de pneus, il s’est laissé prendre au piège d’un rythme effréné qui l’a épuisé. C’est alors qu’il a entrepris de consulter un psychiatre pour réguler sa consommation d’alcool.

Comment avez-vous réagi alors ?

Je l’ai soutenu à 100% ! J’étais fatiguée d’être devenue son bouc émissaire lors de ses crises de colère ou d’agressivité. Mais la mayonnaise n’a pas pris avec ce médecin… C’est un autre, un alcoologue, qui nous a été d’une aide précieuse et m’a montré la route à suivre « Je crois fermement que c’est votre amour qui va sauver Marc » m’a-t-il glissé.

Marc et Charlotte

Votre amour subsistait malgré la dégradation de vos relations ?

Oui, car à ce moment-là, en 2017, je ne mesurais pas la gravité de la situation. Dans un premier temps, l’alcoologue avait plaidé pour l’abstinence totale et j’étais si désireuse de retrouver une harmonie familiale que je voulais être la meilleure alliée possible pour Marc. La sincérité et l’humilité de ce dernier m’avaient émue. J’ai fait fi du regard des autres ; tout s’est déroulé en pleine lumière, avec franchise et simplicité. Quand on a appris que l’alcoolisme n’était que le révélateur d’une maladie psychique, la bipolarité, j’ai naïvement cru que les médicaments allaient vite faire taire ses sautes d’humeur et basta ! J’étais dans le déni… Pour autant, j’ai toujours eu l’intime conviction que ma place était aux côtés de Marc. Alors, je me suis accrochée à ma foi. 

Vous êtes croyante ?

Oui, la foi catholique tient une place de premier plan dans ma vie depuis toujours. Dans le marasme le plus total, je n’ai jamais douté de la présence d’une lumière au bout du tunnel. La prière a été mon phare dans la tempête. Et des parcours de couples saints, des témoignages, des livres… ma bouée de secours. Ainsi que le soutien de ma famille et d’amis fidèles. Ce sont eux qui m’ont ouvert les yeux : au départ, j’étais comme un animal blessé, je refusais d’être mise en cause, puisque le problème ne venait pas de moi ! J’ai fini par accepter de voir un psychologue et de consulter un conseiller conjugal du Cler avec Marc. De fait, ce dernier a conclu que la cause de nos difficultés résidait bel et bien dans la maladie, pas dans notre relation. Celle-ci s’est toutefois enrichie des clés qui nous ont été données pour mieux communiquer.

La balle était donc dans le camp de votre mari ? 

Oui, mais il lui a fallu cheminer avant d’accepter, sur la recommandation de mon frère, de se faire hospitaliser. C’était en 2020. Il était temps, car j’ai vécu un calvaire : sous l’emprise de l’alcool, qui apaisait provisoirement ses démons intérieurs dans les phases d’abattement de sa maladie, Marc changeait de visage. Il piquait des colères terribles, renversait tout sur son passage, devenait insultant. J’ai pris peur, j’avais tout le temps la boule au ventre.

Avez-vous songé à le quitter ?

Oui, pour mettre nos enfants à l’abri. J’ai supplié le Ciel de m’éclairer car je savais que mon choix serait définitif : si je partais, je ne reviendrais pas, Marc se laisserait couler… Dans la prière, j’ai compris que je devais rester, que le sacrement de mariage nous donnerait les grâces nécessaires pour tenir bon. En préparation au mariage, il nous avait été dit qu’aimer, c’est vouloir aimer. Quand les sentiments se volatilisent -et clairement à ce moment-là, je ne me sentais plus amoureuse du tout-, reste la volonté. Tous les matins, je décidais que Marc était et resterait l’homme de ma vie. Bien m’en a pris !

L’amour passé au feu renaît de ses cendres fortifié !

Qu’est-ce qui a permis à la flamme de ne pas s’éteindre ?

L’humilité de Marc, qui a accepté de se faire hospitaliser. Je suis allé avec lui chez le psychiatre qui a poussé en ce sens. Sur le moment, il s’est cabré mais le lendemain, il a rendu les armes… Quel soulagement ! Après coup, j’ai su qu’une phrase que j’avais prononcée au cœur d’une dispute « tu peux faire ce que tu veux, je ne te quitterai jamais » avait joué un rôle décisif dans sa décision.

Mais si j’ai pu la prononcer, c’est qu’au plus intime de moi-même, je croyais possible une renaissance. Il a fallu deux ans et 4 autres hospitalisations de plusieurs semaines d’affilé pour que l’état de Marc se stabilise : trouver le bon dosage médicamenteux n’est pas immédiat ! Fin 2022, Marc a reçu le sacrement des malades, à l’abbaye de Lagrasse : une démarche qui a sans doute contribué à le remettre debout. Les moyens humains et les moyens spirituels se complètent.

Il a complètement arrêté de boire ?

Oui, depuis deux ans. Mais nous restons prudents : à la maison, l’alcool est sous clé. Je ne m’empêche pas de prendre un apéro de temps à autre si Marc sent que ça le laisse de marbre. Mais s’il est plus vulnérable, il m’en fait part et je me rabats sur un Perrier citron. Entre nous, le dialogue est permanent. J’ai toujours cru que le Seigneur tirait du bien de toute épreuve, pour peu qu’on Le laisse faire et ça se vérifie. Ce chemin de croix a été mon chemin de conversion. Jamais le bon Dieu ne m’a lâché la main.

Nos échanges ont gagné en vérité, en profondeur, en bienveillance. Nous veillons sur notre couple comme le lait sur le feu ! Je repère les signes avant-coureurs d’une baisse de moral chez Marc et il se fie à moi, d’autant que je suis devenue son conjoint aidant.

C’est-à-dire ?

Nous avons la chance au CHU de Clermont-Ferrand de bénéficier d’un centre expert en matière de bipolarité. Là-bas, j’ai pu bénéficier d’une formation pour être conjoint aidant. On sait que cette formation potentialise les chances de guérison. Pour le bien de sa famille, rien n’est à négliger ! 

Charlotte et Marc avec leur 6 enfants

Comment vos enfants ont-ils vécu tout ça ?

Nous avons toujours été transparents avec eux. Là encore, nous verbalisons tout. Nous avons aussi jugé bon de voir pour chacun un psychologue. Ils ont vécu des choses lourdes, ont été partie prenante d’âpres conflits… Nous espérons qu’eux aussi sauront tirer le meilleur parti de ces années de souffrance. Leurs beaux témoignages en toute fin du livre nous rassurent sur ce point.

Et vous qu’avez-vous tiré de bon de tout ça ?

J’ai appris l’abandon, ce qui n’est pas une mince affaire pour quelqu’un qui aime à tout maîtriser ! Par ailleurs, avec Marc, nous accompagnons désormais des couples confrontés à la maladie psychique. Suite à un article paru dans l’hebdomadaire « Famille Chrétienne », nous avons été le réceptacle de tant de confidences douloureuses que nous nous sommes sentis appelés à cette mission. Quand les éditions Mame ont sollicité Marc pour qu’il témoigne de notre histoire, nous y avons vu un signe nous confirmant dans cette mission. Nous espérons qu’elle se déploiera encore à l’avenir.

L’amour me relève chaque jour – Le couple et la famille à l’épreuve de la maladie psychique, Marc Bruneteau, 2024, Ed. Mame, 141 p.,16,90 €.

NB : Si comme Charlotte vous avez un conjoint ou mari frappé par une maladie psychique ou/et prisonnier de l’alcool, n'hésitez pas à prendre rendez-vous au sein de l'Accueil Louis et Zélie le plus proche de chez vous. S’il n'y en a pas, contactez-nous pour que l’on trouve ensemble une solution. Nous sommes à votre écoute.

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