Guy Gilbert : "C'est par notre écoute que nous pourrons épauler ceux qui triment"


« Multiplions les lieux, laïcs ou religieux, où nos jeunes seront vraiment écoutés. Ne gaspillons pas une minute d’écoute vraie, où on laisse tout. Le lieu privilégié est celui de la famille. Mais face à la détérioration des couples, l’école et tous les lieux possibles à créer sont d’une nécessité brûlante. Multiplions-les. »
Cette exhortation du père Guy Gilbert dans un ouvrage déjà ancien Cris de jeunes (1999) est plus que jamais d’actualité. Pour les Accueils Louis et Zélie, il a bien voulu revenir sur la place qu’a tenue l’écoute dans son parcours.
« J’ai désiré être prêtre dès l’âge de 13 ans. Sans doute est-ce l’exemple de mes parents qui a fait germer en moi cette vocation. Leur façon de s’aimer, de prendre soin de leurs 15 gamins et des gens seuls ou en galère m’a ouvert à Dieu -en lequel ils croyaient. Dieu, c’est l’Amour fou, absolu, et pour moi Il se vit plus qu’Il ne se dit.
J’ai été ordonné le 3 juillet 1965. Je me voyais bien curé de campagne, mais là-haut, Il en a décidé autrement. C’est le mystère de la grâce de Dieu qui ne nous appelle pas forcément là où on le voudrait. Je me suis retrouvé sur le bitume parisien auprès de jeunes en grande difficulté. À l’époque, on les appelait les « loubards ».
J’ai essayé de vivre de telle façon qu’à me voir ces jeunes puissent se dire « Dieu existe. » C’est la prière quotidienne qui m’a porté et permis de tenir dans un monde sans pitié, où les parcours de vie sont marqués au fer rouge du désespoir, de la violence, du malheur.
Sans le silence, je ne serais que tempête intérieure.

Des jeunes issus de familles en miette
Qui sont ces jeunes ? Des mômes au parcours bringuebalant, avec des familles éclatées ou dysfonctionnantes. Ils sont imbibés de violence, déstructurés par le manque de repères et assoiffés d’amour. La plus grande souffrance, c’est de n’être pas aimé. Ils ont un cœur gros comme ça pourtant, mais on les a habitués à vivre de leur pulsion, de leur instinct.
Pour eux, je suis devenu éducateur spécialisé. Histoire de mieux me fondre dans leur univers, j’ai adopté leur code vestimentaire -d’où mes santiags et mon perfecto en cuir- et leur langage : je suis connu pour mon verbe pas toujours très châtié ! C’est en utilisant les mots de ceux en qui grondent la révolte et la colère que je me fais le mieux leur porte-parole.
Ces jeunes en déshérence croient être de la merde. Ils se pensent irrécupérables. J’ai voulu leur montrer qu’ils étaient aimables, comme tout un chacun. Mais sans les peloter dans le sens du poil. En les appelant au plus haut, au dépassement de soi. C’est ça l’amour, rien d’autre. Ils valent mieux que les conneries qu’ils font… A leur demande, j’ai racheté une ruine dans les Alpes-de-Haute-Provence, la Bergerie de Faucon : ça fait 50 ans qu’avec mes éducateurs on y accueille des adolescents pour les aider à se reconstruire.
L’écoute, une discipline féconde
Là-bas -où je vis aujourd’hui- ou dans ma permanence parisienne -qui subsiste grâce à mes adjoints après avoir été mon QG pendant 45 ans-, je m’efforce avant tout d’écouter. Je n’ai rien fondé, rien créé. J’ai écouté simplement, il y a bien des années, des jeunes un soir de beuverie.
Tant de gens souffrent de n’être écoutés par personne ! Initialement, c’est le rôle de la famille : j’ai écrit quelque part que « La royauté d’une famille, c’est son formidable pouvoir de s’écouter. » Mais quand on n’en a pas ou plus ou quand elle a failli, on garde tout à l’intérieur de soi, et ça c’est une bombe à retardement.
La solidarité avec le plus pauvre, c'est d'abord de savoir l'écouter inlassablement, absolument. Il faut être capable d’écouter avec douceur même les critiques, les injures, le verbiage… Et fermer sa gueule ! C’est comme dans la prière : Dieu Te parle et Te guide si tu sais fermer ta gueule !
Écouter celui qui souffre, c’est l’éclairer sans qu’il s’en rende compte.
Or, on ne sait plus regarder les gens, les écouter. Il y a trop de chacun pour soi, trop d’individualisme. Et comme les fractures familiales se multiplient, il nous appartient de multiplier la miséricorde : seule la tendresse humaine apprivoise les gens. Si vous êtes de ceux qui écoutent passionnément, vous serez de vrais chrétiens, proches de ceux qui sont en galère.
Citations du père Guy Gilbert sur l'écoute
« Nous, gens d'Église, devons enseigner. Mais le jour où nous apprenons que l'écoute profonde de l'autre peut être aussi un magistral enseignement, on gagne forcément en brièveté... et en humilité. » (Dieu, mon premier amour, 1995, éds Stock).
« Écouter. Écouter inlassablement. Le métier d'éducateur est fait de 80% d'écoute. Les 20% qui restent sont mon avis, mes refus expliqués ou mon approbation affirmée. Notre monde crève de manque d'écoute. Écouter vraiment. De l'intérieur. Pas entendre. » (Dieu, mon premier amour).
« En prison, je les écoute d’abord longuement. » (Des jeunes y entrent, des fauves en sortent, 1995, éds Stock).
« La tâche du visiteur de prison n’est pas si simple qu’on pourrait croire. Il lui faut s’adapter à la personnalité de chacun de ceux qu’il visite par une capacité d’écoute à toute épreuve, apporter une présence régulière, un soutien constant. L’écoute est probablement l’impératif le plus difficile à respecter. » (Des jeunes y entrent, des fauves en sortent).
« Une écoute profonde et une attention très forte sont extrêmement importantes. » (Cris de jeunes, 1999, éds Stock).
« Les jeunes ont une demande d’écoute énorme. Jamais on ne le dira assez. » (Cris de jeunes).
« On ne saura jamais assez combien de petits gestes, une attention prioritaire, une écoute prolongée peuvent être déterminants pour mettre sur la route des adolescents fragilisés. » (Cris de jeunes).
« Les parents n’ont souvent pas la capacité d’écoute, toujours pris par beaucoup de choses, ils oublient la priorité absolue d’écoute de leurs marmots. » (Cris de jeunes).
« Si l'on zappe vite les autres, si on les entend sans les écouter, rien ne se produit entre les êtres. Écouter vraiment l'autre, c'est écouter Dieu profondément. » (« Lettre circulaire semestrielle n°82 », décembre 2008 ).
Cliquer ici pour un aperçu sur les livres du père
Notre coup de cœur ? Aimer plus qu'hier, moins que demain, Ed. Philippe Rey, 2020, 456 p., 8,40 €.
Un formidable ouvrage rempli de pépites, anecdotes, aphorismes-chocs : un chapitre par jour à savourer sans modération. Commander
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